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Irak : pour une initiative franco-américaine

By Pierre Lellouche & Doug Bereuter

Trois mois après le vote à l’unanimité de la résolution 1441 par le Conseil de sécurité des Nations unies, les démocraties occidentales se sont profondément divisées sur le dossier irakien, alors même qu’un accord de fond existe quant au danger représenté par Saddam Hussein pour la sécurité internationale.

Alors que nous partageons le même objectif qui figure expressément dans la résolution 1441 d’éliminer les stocks d’armes de destruction massive dont nous savons qu’ils sont en possession du régime irakien depuis 1998, un fossé n’a cessé de se creuser ces dernières semaines entre nous quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif.

Non sans raison, l’Administration américaine est convaincue que Saddam Hussein n’a cessé de tricher avec la communauté internationale ces douze dernières années, et redoute de voir le dictateur irakien remettre certaines de ses armes de destruction massive aux mains de groupes terroristes. L’Amérique est également convaincue qu’après avoir violé seize résolutions de l’ONU Saddam ne cherche qu’à gagner du temps, en attendant que les conditions climatiques du Moyen-Orient, dès le printemps prochain, rendent impossible toute opération militaire de grande ampleur. Pour les tenants de cette thèse, ajouter des inspections ou de nouveaux inspecteurs ne ferait que faciliter le jeu du dictateur irakien et accroître les divisions à l’intérieur du camp des démocraties, tant aux Nations unies que dans l’Union européenne et l’Alliance atlantique.

Non sans raison également, la France, de son côté, défend l’idée que, dans les conditions actuelles, une telle guerre serait lourde de dangers encore plus graves pour la stabilité à long terme de l’ordre international. En l’absence de preuves incontestables de violations irakiennes, une invasion de l’Irak, pour reprendre une expression récente du président Chirac, ne pourrait que précipiter davantage de terrorisme islamiste et voir proliférer nombre de «petits Ben Laden». La thèse française est que la guerre ne devrait donc être considérée que comme l’ultime option. Jusque-là, la combinaison de puissantes pressions militaires américaines et d’inspections renforcées par les Nations unies a toutes les chances d’atteindre l’objectif souhaité, tout en évitant de verser le sang – particulièrement celui d’une population innocente, elle-même victime de la cruauté de Saddam Hussein depuis plus de deux décennies.

Ce débat de fond est à la fois légitime et sérieux. Il mérite bien mieux que l’escalade de noms d’oiseau et parfois d’insultes, des «belettes» au déferlement d’antiaméricanisme, que nous avons vu fleurir dans la presse ces dernières semaines.

Nous regrettons cette escalade, à la fois stupide et auto-infligée. L’idée selon laquelle «un camp de la guerre» combattrait en notre sein «un camp de la paix» est une absurdité. Ce à quoi nous devons faire face est une situation internationale complexe et dangereuse, qui résulte de la montée du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Une telle situation ne peut être affrontée que collectivement, et par l’unité de nos démocraties. Elle ne peut l’être que dans un esprit de respect et de compréhension mutuels, et non en essayant de nous contraindre ou de nous isoler les uns les autres. Malheureusement, les dommages déjà infligés aux relations transatlantiques sont profonds et du temps sera nécessaire à la cicatrisation de ces blessures.

De ce point de vue, il est pour le moins regrettable que Saddam Hussein ait pu diviser les alliés transatlantiques davantage que l’Union soviétique n’était parvenue à le faire pendant les cinquante années de la guerre froide. De surcroît, la question irakienne a aussi profondément divisé les Nations unies, tout autant que l’Union européenne, là encore entraînant des conséquences potentiellement dommageables.

Les manifestations du week-end dernier à travers le monde ont révélé l’aversion profonde de nos démocraties à l’égard de la guerre. Nous aussi, nous désirons ardemment que le désarmement et le respect des résolutions de l’ONU résultent d’une adhésion voulue de l’Irak, qui nous éviterait tout recours à la force militaire. Cette guerre-là, dont personne ne veut, peut cependant s’avérer nécessaire pour éviter des pertes de vies humaines plus horribles encore à l’avenir. Une résolution pacifique de ce conflit est la solution que nous souhaitons tous.

Le temps est venu – nous en sommes convaincus – de la désescalade; d’atténuer les tensions entre nous et de mettre en place une action commune et efficace pour résoudre cette crise. A cet égard, nous nous réjouissons des signes positifs intervenus ces derniers jours, qu’il s’agisse de l’accord conclu à l’Otan dimanche soir sur la solidarité avec la Turquie, comme des discussions constructives qui se sont déroulées lors des rencontres parlementaires de l’Otan des 16 et 17 février dernier. Autant de signes auxquels s’ajoutent les conclusions équilibrées du sommet européen également tenu à Bruxelles lundi, qui montrent une attention nouvelle et bienvenue des alliés au respect et à l’écoute mutuels.

En laissant résolument de côté les polémiques stériles de ces dernières semaines, nous sommes convaincus qu’il existe une issue à cette crise. Celle-ci se trouve en toutes lettres dans le rapport présenté au Conseil de sécurité des Nations unies par M. Hans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU. Qu’a dit Hans Blix à cette occasion? Que le désarmement irakien peut être accompli dans une période de temps relativement courte. Celui-ci ajoute: «Aujourd’hui, trois mois après l’adoption de la résolution 1441, le temps nécessaire au désarmement au travers des inspections peut encore être court si l’Unmovic et l’AIEA obtenaient une coopération immédiate, active et inconditionnelle» (de la part des Irakiens).

Nous appelons donc les chefs d’Etat de nos deux pays –le président George Bush et le président Jacques Chirac– en liaison avec les responsables de pays alliés et amis, à déclarer solennellement que Saddam Hussein a deux semaines pour se conformer à la résolution 1441 et donner aux inspecteurs une coopération immédiate, active et inconditionnelle.

Nous leur demandons de définir une liste de critères clairs, tels que le survol de l’Irak par des appareils de reconnaissance, et l’organisation d’entretiens hors du territoire irakien pour l’ensemble des scientifiques concernés par les programmes d’armes de destruction massive. Le respect de tels critères pourra être aisément vérifié par les inspecteurs. Nous saurions ainsi si Saddam Hussein est vraiment désireux de désarmer, ou s’il cherche à flouer une nouvelle fois la communauté internationale, en risquant une nouvelle guerre.

Si le régime irakien apportait sa coopération active, augmenter le nombre d’inspecteurs deviendrait inutile, car toutes les informations nécessaires seraient fournies volontairement. En revanche, si l’Irak devait continuer sa politique d’obstruction et de défi, un nombre illimité d’inspecteurs ne suffirait jamais à trouver les stocks cachés ou les installations mobiles de fabrication d’armes de destruction massive dispersés à travers son vaste territoire – cela vaut tout particulièrement pour les armes biologiques dévastatrices.

Ces deux semaines doivent être celles de la dernière chance offerte à Saddam Hussein. Si l’Irak acceptait de manifester une véritable volonté de coopération avec les inspecteurs de l’ONU, deux semaines suffiraient pour que les inspecteurs obtiennent toutes les informations dont ils ont besoin, qu’il s’agisse de la localisation des sites d’armes ou de missiles prohibés ou des preuves que ces matériels ont déjà été détruits par les Irakiens eux-mêmes. Rappelons que les inspections des Nations unies ont constaté leur existence en 1998, mais que, malgré moult dénégations, le régime irakien n’a jamais présenté les preuves de leur destruction.

En l’absence de telles preuves, la communauté internationale, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies, devra en conclure que l’Irak viole de manière flagrante la résolution 1441, ce qui entraînerait comme chacun sait «des conséquences sérieuses» en cas de non-application. Dans ce cas, nos pays devront agir ensemble pour restaurer la crédibilité des Nations unies et de l’Alliance. Si nous ne parvenons pas à obtenir pacifiquement le désarmement irakien, nous devrons retrouver notre solidarité dans une action militaire que nous ne souhaitons pas, mais que nous voulons commune.

* Doug Bereuter est membre de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Président de la sous-commission aux affaires européennes de cette même Chambre, président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan. Pierre Lellouche est député (UMP) de Paris, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan.

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